Interview de Piet Du Congo sur Bodywork (2016)

Cette interview a été réalisée par Bodywork en 2016 et publiée par Squelch Sasquatch.

Un Rendez-vous Avec Piet du Congo

Un style qui ne réunit pas tous les suffrages mais qui laisse rarement indifférent, bientôt dix ans à manier les aiguilles, Piet du Congo a quitté son shop de Jemelle le temps d’une guest parisienne chez Art Corpus. C’est l’occasion de lui poser quelques questions, pendant qu’il installe son poste de travail dans une salle vidée par l’heure tardive. On entend le bruit des dermos qui bourdonnent à l’étage. Piet enfile ses gants et s’attelle à ses préparatifs : l’interview peut commencer.

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BodyWork : Tu travailles dans un studio privé, chez toi, tu te déplaces pas mal pour des guests, comme aujourd’hui, mais on ne te voit pas tellement en convention, il y a une raison à ça ?

Piet du Congo : Je vais pas au salon de l’auto non plus. Ce n’est pas trop mon truc. Déjà, je ne trouve pas que ce soit les meilleures conditions de travail, de confort et d’intimité. Et le côté people des grands ensembles ne me parle pas spécialement non plus, je ne me retrouve pas vraiment là-dedans.
Aujourd’hui, on a presque toujours de fort gros événements, avec beaucoup de monde et des entrées super chères, c’est un peu une foire. C’est sûrement dû aussi au côté fashion du tattoo et j’ai pas particulièrement envie de participer à ça. Quand j’ai commencé, c’était de plus petites conventions, après tu te retrouvais au bar, entre tatoueurs et public, ça avait un côté plus humain. Alors, c’est peut-être moi qui idéalise, mais j’ai l’impression que c’était plus festif.
Il y a le côté financier aussi : Les stands sont parfois à des prix assez élevés, je n’ai pas envie de devoir augmenter mes tarifs : je ne vois pas pourquoi le client devrait pâtir au niveau prix et confort de mon envie de faire une convention.
Bon après, je ne suis peut-être pas non plus un pro de la com’ ! (Il rit).

Tu as un style qui peut en dérouter certains, tu peux nous expliquer ce que tu aimes tatouer ?
C’est assez vaste ! C’est une espèce de mélange entre ce qui m’intéresse, mes différentes influences, qui peuvent aller des primitifs flamands à l’art brut en passant par l’imagerie de propagande ou l’esthétique 8 bit, dans lequel j’essaie d’ajouter un côté brutal. J’aime bien que la première idée que tu te fasses ne soit pas « Oh c’est beau ! »… Qu’il y ait un côté brut et violent dans le rendu final, que certains éléments aient l’air ratés à première vue, que l’aspect technique ne soit pas la première chose mise en avant.

Et qu’est-ce qui t’intéresse justement dans ce côté brut et violent ?
Le tattoo c’est devenu quelque chose d’esthétique, un petit produit commercial. Pour moi, garder cet aspect brut, qui du coup ne plaît pas à tout le monde, ça lui confère ce côté radical du début, quand ce n’était pas forcément bien vu… Je trouve que c’est important qu’il reste cette dimension un petit peu « en marge »… Même si je trouve ça bien qu’avoir un tattoo ne soit plus forcément un handicap ! Mais il y sans doute un équilibre à trouver entre passion et fashion. Quand je vois des tattoos dans une pub de yogourt, ça me fait un peu peur… Si de grandes firmes jugent intéressant d’utiliser l’imagerie du tattoo, c’est qu’on est plus vraiment dans un truc alternatif.

Donc les critiques du type « c’est très bien mais pas sur moi », ça te va plutôt bien ?
(Il rit.) Bah ouais ! Et c’est assez quotidien, mais c’est un peu voulu aussi. Je tente de faire des tatouages qui se différencient, j’essaie d’un peu détourner les tendances, de brouiller les pistes. Pour donner un bête exemple : le motif est à la mode pour le moment, si je fais du motif, je le ferais plutôt à la main pour que de l’erreur entre en compte, pour perdre l’aspect pattern photoshop. Ça doit être mon coté polynésien, c’est l’erreur qui rend le tatouage unique.

En plus du tatouage, tu dessines, tu réalises des installations, tu fais de la musique…
J’ai un groupe, un duo électro post-punk (NDLR : Das Pathetick), je gère les vidéos et le son des vidéos, que j’envoie avec des effets ou des jeux sur la vitesse pour en faire des espèces de drones. Je chante un peu aussi, enfin c’est un grand mot mais il fallait bien que quelqu’un s’y colle… Je suis un faux musicien (il rit).
J’essaie aussi de garder du temps pour le dessin et des expo/installations de temps en temps car c’est plus dans ces moments-là que je peux expérimenter et ça amène de nouvelles inspirations dans mon travail de tattoo. Le danger du tattoo, c’est que tu es dans un travail où tu dois satisfaire le client, du coup tu peux vite te replier dans ce que tu sais faire et tourner en rond.

Est-ce que tu vois un lien entre ce que tu fais quand tu tatoues et tes autres activités artistiques ?
Complètement ! Clairement, il y a un lien, un côté collage ou cut-up à la Burroughs. L’idée, c’est chaque fois de reprendre des éléments, des influences d’horizons différents et qui m’intéressent, de les remixer ensemble pour donner un sens nouveau, ou plutôt un sens différent du sens initial, avec une autre connotation.

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Si on veut te contacter pour un tatouage, c’est quoi le moyen idéal ?
C’est une rencontre en chair et en os. Évidemment, ce n’est pas toujours possible, mais l’idéal c’est bien de pouvoir passer une petite heure à discuter, commencer à élaborer le projet en parlant vraiment, en dessinant un peu sur la personne pour avoir une idée de la taille, de comment on va mettre la compo sur le corps. Après, je tatoue beaucoup de gens de l’étranger, il n’y a pas toujours l’opportunité de bosser comme ça, alors on passe par skype ou par mail, on fait comme on peut, quoi ! Ça dépend aussi de la demande en tattoo : j’ai un gros book dessin, avec plein de matière, j’ai de plus en plus de gens qui partent de ça et il y a donc moins besoin d’une préparation en amont.

Et dans le cas d’un travail de commande, tu préfères qu’on t’amène beaucoup de matière ou qu’on te laisse faire un maximum ?
Le truc, c’est que je ne travaille que par documents, même si c’est pas flagrant (il rit). J’utilise beaucoup ce qu’on appelle, en graphisme, des « mood boards ». Je me fais des petits fichiers avec des images et je pars de ça pour dessiner, en repiquant des éléments à gauche à droite, comme pour un collage, sauf que je redessine, du coup il y a toujours un décalage entre l’élément d’inspiration et le dessin réalisé. C’est pas important pour moi que ça soit ressemblant, c’est plus le fait d’observer qui m’intéresse. Les documents me servent à sortir de mes habitudes. En fait, je trouve que si tu dessines sans document, tu tombes vite dans des systématismes, j’essaie d’éviter ça. Le fait d’avoir un document comme une base de référence ça t’évite de rentrer dans une routine où une chaise est tout le temps la même chaise, un visage toujours le même visage… Ça permet un travail d’observation dans le dessin et forcément cette dimension d’observation tu ne peux pas l’avoir directement dans un dessin d’imagination. L’imagination est bien là, mais pour trouver comment juxtaposer les éléments. Donc pour répondre à ta question : oui, j’aime bien qu’on me donne de la docu de départ.

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Est-ce que tu montres ton dessin avant la séance ?
Non, déjà pour simplifier mon secrétariat et parce que mes dessins ne sont pas le reflet définitif du tattoo. Je ne dessine jamais exactement le projet que je vais faire, c’est pour moi, pour avoir une base, pour savoir où je vais aller. Mais il y a une part d’improvisation, je vais redessiner, et ajouter des éléments que je vais mettre autour à main levée. Quand je travaille, je ne prends en général qu’un client par jour pour cette raison : je prépare mon petit truc en amont, après on se voit, on discute, on modifie ensemble.
En fait, si j’envoie le dessin, les gens s’imaginent que ça va être ça, alors que c’est moins travaillé que ce que ça va être finalement et ça fait plus peur qu’autre chose ! (il rit).
En plus quand tu envoies le dessin, il y a des clients qui vont passer toute leur journée à le regarder, ça perd en spontanéité, pour moi, un tattoo, c’est une décision du moment.

C’est important pour toi de connaître la symbolique que quelqu’un met derrière une pièce ou peu importe ?
Dans une certaine mesure, c’est toujours important de savoir. Après, je ne suis pas psychanalyste. (Il hésite). Disons que s’il y a un sens au tattoo, c’est bien de le savoir pour pouvoir orienter l’image, comment elle va être construite, mais ce n’est pas vital.
Dans ma manière de fonctionner, quand je dessine, je n’ai pas spécialement une idée de ce que va être le dessin final. Toujours dans l’idée du cut-up et du collage, j’aime qu’il y ait un sens qui se construise dans l’image, une narration, quelque chose qui se passe, mais c’est rarement réfléchi à l’avance. C’est ça qui est intéressant dans le dessin, ce moment où tu découvres ce que tu es en train de dessiner, le processus créatif, l’accident qui va amener quelque chose que tu n’avais pas prévu. Du coup, tu t’étonnes, et ce n’est pas juste reproduire l’idée que tu as en tête.

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Est-ce qu’il y a quelque chose que tu rêverais de tatouer mais qu’on ne t’a jamais demandé ?
Pas spécialement. Comme je le disais, j’ai un book avec plein de dessins, donc forcément tous ces dessins, potentiellement j’ai envie de les faire. Mais il n’y a pas un motif plus que les autres, et puis ce sont des envies… Je dessine beaucoup, alors d’une semaine à l’autre, elles changent !

Tu aurais une anecdote d’une excellente séance ou, au contraire, d’une qui ne s’est pas passée comme prévu ?
J’ai de petites anecdotes avec des clients qui étaient tout bourrés en fin de séance… Une fois, j’en ai eu un hardcore. Je fais des prix à la journée, pas à l’heure, et souvent je dis au client : « Voilà, c’est tel prix, et on tatoue tant que tu tiens. » Du coup, ce client avait eu la bonne idée de croire qu’on ferait tout son dos en une fois… Il a picolé pendant la séance pour avoir moins mal, il s’est enfilé dix mille cachets et des trucs dont je n’avais pas idée quand il allait faire ses pauses. Donc en fin de séance il était tout à l’ouest : il se retournait pour me parler pendant que je tatouais, il tombait de la table. Du coup, j’ai dû lui dire qu’on finissait la séance parce que c’était ingérable. Il m’a fait un scandale, il ne voulait pas payer parce que j’avais dit tant qu’il tenait, il voulait me donner du speed pour que moi, je tienne… Voilà, c’était pas ma séance la plus fun, même si ça l’est avec le recul.

Pour terminer, je vais te poser une question con : tu préfèrerais tatouer avec les mains qui tremblent ou avec la vue qui baisse ?
Les mains qui tremblent, sans hésitation : (il rit) ça ne changera pas beaucoup. Souvent je dessine hyper lentement pour avoir des tremblements et des imperfections qui se mettent dans le trait donc du coup, je pourrais dessiner vite et avec des tremblements !

Merci à Piet de s’être prêté au jeu des questions-réponses avec beaucoup de gentillesse !

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