📜 Examiner un portfolio, reconnaître un bon tatouage

Texte original de Squelch Sasquatch sur Bodywork.

Préambule

Ça y est, ce projet de tatouage est à point : le style, les grandes lignes du motif, tu sais ce que tu veux : c’est le moment de se lancer dans la recherche du tatoueur idéal !
Or bien souvent, le premier contact que l’on a avec le travail d’un artiste, c’est ce qu’il en montre à travers son book, recueil de ses dessins et de photographies des pièces qu’il a tatouées. Et ça tombe bien, c’est un bon moyen d’effectuer un premier choix… À condition de se poser les bonnes questions !

« Est-ce que c’est beau ? Est-ce que ça me plaĂ®t ? Est-ce que ça me touche ? Â»

Pas besoin d’un œil éduqué ou d’un jugement acéré pour répondre à cette question et faire un premier tri. Lorsqu’on cherche un tatoueur pour un projet personnel, on cherche ce qui est bon pour soi, et il y a donc une part importante de subjectivité dans la démarche. Alors on s’écoute un peu, et on met déjà de côté ce qui ne nous séduit pas.

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De gauche à droite et de haut en bas : Krzystof Wierzbicki, Yadou, Dave Wah, Angélique Grimm.

Quatre tatouages, quatre renards, quatre belles réalisations qui se ressemblent assez peu malgré leur sujet commun. Choisir son préféré est une affaire de goût !

Le portfolio présente-t-il des oeuvres qui collent à mon projet ?

Tous les tatoueurs ne savent pas ou n’ont pas envie de tout tatouer. Les motifs, les compositions, le style mis en avant dans un book permettent de se faire une idée de ce qu’un artiste peut (et aime!) réaliser.

Bien sûr, il ne s’agit pas de trouver un tatouage (ou un dessin d’ailleurs) qui corresponde parfaitement et en tout point à son projet, mais plutôt de vérifier que le traitement de motifs proches de ce que l’on envisage nous convient, nous séduit.

Qualité du portfolio / book

Ça peut paraître idiot, mais comment estimer la qualité du travail de quelqu’un d’après photos si celles-ci ne sont pas bonnes ?
Une bonne photo, représentative, c’est un cliché pris dans de bonnes conditions : l’image est nette, son exposition est correcte, le tatouage n’est pas photographié à travers un pansement ou sous une couche de vaseline…
On peut aussi être attentif à la retouche des photos, qui peut devenir trompeuse si elle est exagérée et systématique.

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Cette image a été initialement postée sur la page facebook du tatoueur Niels Solling, accompagnée du commentaire suivant :

Tatouages photographiés frais ou cicatrisés

Dans l’idéal, un book devrait présenter les deux !
Les tatouages fraîchement piqués sont généralement les plus nombreux dans les books, tout simplement parce qu’il est facile et pratique de prendre une photo à la fin d’une séance. Dans ce cas, il est normal d’observer une peau rougie et irritée. En revanche, on passe son chemin si la peau a l’air très abîmée, comme si les tracés avait été gravés dans la chair ou comme si la machine avait écorché certains endroits.

La présence de tatouages cicatrisés est importante car elle permet de se rendre véritablement compte de la qualité du travail effectué. Quand ils sont tout juste piqués, les tatouages ont un aspect brillant qui tend à disparaître avec la cicatrisation. De plus, certaines couleurs, certains ombrages et dégradés ne se révèlent qu’après quelques semaines.

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Voici une comparaison d’un même tatouage, réalisé par Jason Butcher, photographié juste après la séance, et de nouveau trois mois plus tard.
À gauche, le tatouage parait très rouge, en raison de l’irritation de la peau fraîchement tatouée. Certaines zones semblent sombres. À droite, le tatouage cicatrisé révèle ses vraies couleurs.

Exécution technique des tatouages présentés

Tous les goûts sont dans la nature, et c’est très bien comme ça. Pourtant, en matière de tatouage, au-delà de la sensibilité de chacun, il y a des critères objectifs qui permettent d’évaluer une certaine qualité technique.

Alors, que regarder ?

Les tracés

Un beau tatouage, c’est déjà un bon travail sur les tracés, les lignes, les contours.

Les lignes doivent être régulières, c’est à dire qu’une même ligne devrait être d’une même épaisseur et d’une même intensité sur toute sa longueur.
Une ligne très fine qui s’épaissit sans raison avant de s’affiner à nouveau est la marque d’un tatoueur qui n’applique pas une pression constante à son trait en cours de traçage. Même chose pour les lignes qui sont tantôt très sombres, tantôt très claires.

Elles doivent également être fluides et assurées. Pas de tremblement, de reprise, d’« accident » : une ligne courbe dessine une belle courbe, une ligne droite file bien droit. Dans l’idéal, on a l’impression que chaque ligne a été tracée d’un seul geste. Lorsque les traits se rejoignent, ils le font proprement, au bon endroit, sans décalage étrange et sans faire de pâté.

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Sans être absolument parfait, le tatouage de gauche présente un travail de tracé dans l’ensemble propre et honnête. L’épaisseur du trait est régulière tout du long, les courbes sont bien lisibles, il n’y a pas de décalage indésirable au niveau des croisements, les pointes sont alignées et se rejoignent nettement.
A droite, même motif, mais les tracés sont cette fois très approximatifs. Certaines courbes s’aplatissent, l’épaisseur du tracé n’est pas régulière, on voit les endroits où le tatoueur a repris ses traits. Les pointes, particulièrement, manquent de maîtrise et se tordent pour réussir à se rejoindre.

Maintenant qu’on a de belles lignes, il s’agit de les remplir joliment.

Le remplissage et les couleurs

Un aplat réussi, qu’il soit en noir ou en couleurs, se caractérise par son homogénéité. Il est bien uni, profond, sans tâche plus claire ou plus sombre.

Pour les dégradés, on recherchera de la fluidité. Le passage d’une couleur à l’autre doit se faire progressivement et régulièrement, en faisant apparaître des nuances.

D’une manière générale, le noir comme les couleurs doivent avoir un aspect propre et net, avec des teintes claires lumineuses et des teintes sombres profondes. De beaux contrastes et des associations de couleurs judicieuses sont également importants pour donner du relief et du caractère à un motif.

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Motifs semblables, choix de couleurs proches, et pourtant…
À gauche, l’ensemble des couleurs est harmonieux. Les teintes sont douces et claires mais lumineuses et pleines de pep’s. Il y a de jolis contrastes, notamment avec l’utilisation du bleu, et des dégradés très progressifs.
À droite, outre que les tracés ne sont guère réussis, les couleurs sont trop criardes pour s’harmoniser vraiment. Certaines zones manquent d’homogénéité. Quant aux (quelques) dégradés, ils tendent à passer brutalement du sombre au clair, sans nuance.

Les ombrages

Avant toute chose, de bons ombrages sont des ombrages qui ont du sens visuellement : ils sont là pour faire apparaître des reliefs, des volumes, révéler une luminosité ou une profondeur… Ils ne peuvent donc pas être placés au hasard. Ils ne doivent pas non plus être trop présents ou trop sombres, au risque de saturer, étouffer la pièce.

Quelle que soit la technique employée, dégradés de gris, hachures, points, avec ou sans touche de blanc, on recherche des ombrages dont la progression est maîtrisée.

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Le placement

Le corps humain est un support plein de reliefs, de courbes et d’angles : un bon placement tient compte de ces particularités. Un tatouage bien conçu paraît intégré à l’emplacement choisi et sa taille est adaptée. Les pièces censées être centrées le sont effectivement, celles placées en symétrie se répondent bien.
Un tatouage qui semble « posé » sur le corps, trop petit ou trop grand pour l’endroit où il se trouve… est le signe d’un manque de compétences ou d’un manque de soin.

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Codes graphiques moins conventionnels

Pour les styles qui cherchent à s’affranchir des codes habituels de l’esthétique, tous les conseils listés ci-dessus ne sont pas forcément pertinents… mais tous ne sont pas forcément à oublier non plus ! À toi de faire le tri en fonction de ce que tu recherches.

Les tatouages qui jouent sur l’imperfection des traits ne sont d’ailleurs pas des tatouages ratés et ne leurs ressemblent en fait pas vraiment. Ils doivent avoir un aspect franc et spontané, comme s’ils étaient réalisés sous l’impulsion du moment.

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Cet oiseau est un détail d’un tatouage de Piet du Congo. Les traits s’y croisent comme si le tatoueur avait dépassé, ils changent d’épaisseur, les formes représentées ne sont pas d’une régularité parfaite. Pourtant, les couleurs sont bien franches, les traits ont une bonne densité, il y a un soucis des détails qui sont nombreux et variés, l’ensemble paraissant dessiné très spontanément.

Reconnaître un beau tatouage bien réalisé, ça s’apprend !

Et pour ça, il n’y a pas de secret : il faut en regarder !

Essayer de considérer les tatouages avec un regard critique, étoffer sa culture tattoo… Voilà qui permet, petit à petit, d’aiguiser son œil et d’affiner son jugement. Bien sûr, cela ne vient pas du jour au lendemain, mais, promis, ça viendra !